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| Dernières MAJ : le 5 juin 2012 | V3.20 - 2007/2012 | |
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L'histoire
de la Normandie
en
général et du Cotentin en particulier
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Guillaume
II le conquérant |
Guillaume
II le bâtard (~ 1027 / 09.09.1087 à Rouen)
fut aussi connu sous les noms de Guillaume II de Normandie,
Guillaume II le conquérant ou encore
Guillaume I d’Angleterre. Il fut le
fils de Robert II le magnifique et de Arlette
ou « Herleva » de
Falaise. |
Guillaume
II de Normandie n’avait que huit ans lorsqu’en 1035, il
devient duc de Normandie à la mort de son père Robert
II le Magnifique. Sa mère Arlette de Falaise, qui n’avait
pas épousé son père, se maria à Herluin
de Conteville, et donna deux demi-frères à
Guillaume, Odon de Bayeux et Robert
de Mortain.
Après
la mort de Robert le magnifique, le vicomte Néel
I de Saint-Sauveur fut l’un des seigneurs chargés
de gouverner le duché de Normandie pendant la minorité
de Guillaume le Bâtard. Néel I de Saint-Sauveur mourut
entre 1040 et 1042. Il laissa pour héritier un fils, Néel
II de Saint-Sauveur.
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Tapisserie
de Bayeux (XIème siècle) |
Sa
bâtardise et son jeune âge furent les principales raisons
qui amenèrent plusieurs barons de Normandie à se révolter
et à bafouer l’autorité ducale. Des complots frappèrent
au plus proche du pouvoir. Guillaume perdit ainsi plusieurs de ses protecteurs
par assassinat, dont le sénéchal Osbern. |
En
1047, Néel II de Saint-Sauveur se laissa séduire par Gui
de Bourgogne, à la générosité
duquel il devait le château du Homme. Gui de Bourgogne, petit-fils
de Richard II par sa mère, n’avait pas vu, sans un vif
sentiment de jalousie, la couronne ducale passer sur la tête de
son cousin Guillaume, fils naturel de Robert le Magnifique. Il forma
le projet de renverser le jeune prince, et fit entrer dans son complot
le vicomte Néel II de Saint-Sauveur. |
Voici
dans quels termes le chroniqueur Wace raconte
la révolte et la bataille du Val-ès-Dunes. Suivons mot
à mot le texte du Roman de Rou. |
Guillaume
crût et enforça, il s’ingénia de différents
côtés ; il était déjà bien cru et
grandi, et tenait sa terre depuis douze ans, quand Néel de Cotentin
et Renouf de Bessin, deux vicomtes de grand pouvoir, capables d’exciter
bien du mal, firent naître, par leurs intrigues, une sédition
dont le pays eut fort à souffrir. Guillaume tenait avec lui Gui,
fils de Renaud le Bourguignon ; celui-ci avait épousé
Adelize, fille du duc Richard, dont il avait eu deux fils. Gui fut élevé
avec Guillaume. Dès sa plus tendre jeunesse, dès qu’il
put monter à cheval, se nourrir et s’habiller, il fut porté
en Normandie et vécut avec Guillaume. Guillaume l’aimait
beaucoup, et quand il l’eut fait chevalier, il lui donna Brionne,
Vernon et plusieurs terres du voisinage. |
Quand
Gui eut pris possession de ses châteaux, qu’il les eut mis
en bon bel état, il commença à s’enorgueillir
et à réclamer le duché de Normandie. Il portait
grande envie à Guillaume, qui était son seigneur ; il
lui reprocha sa bâtardise. La félonie fit éclater
la guerre. Mais Gui s’en trouva mal ; pour avoir tout voulu prendre,
il perdit tout. Il appela Néel, Renouf, Hamon aux Dents et Grimoud
du Plessis, qui servaient Guillaume à contre cœur. Il n’y
avait, dit-il, aucun héritier qui eût plus que lui droit
au duché de Normandie : sa mère était fille de
richard ; il était né de femme légitime, et n’était
point bâtard. Qui voudrait lui rendre justice, lui adjugerait
la Normandie. S’ils voulaient le soutenir, il partagerait avec
eux. Il leur a tant parlé et tant promis, qu’ils se sont
engagés par serment à le soutenir de tout leur pouvoir,
à guerroyer Guillaume, et à chercher à le déshériter
par force et par trahison. Ils ont donc garni leurs châteaux,
paré les fossés et dressé les palissades. Guillaume
ne savait rien de tous leurs préparatifs. |
Pour
son agrément et pour ses affaires, il alla séjourner à
Valognes. Je ne sais depuis combien de jours il y était à
chasser dans les bois, à courre et à tir. Un soir, ses
gens s’étaient retirés pour se coucher dans leur
hôtel ; il n’était resté que les hommes particulièrement
attachés à la personne du prince. Guillaume était
lui-même couché ; mais j’ignore s’il dormait,
quand survint à la porte de la chambre et frappait les murailles
de son pieu. |
«
[...] ouvrez, dit-il, ouvrez, ouvrez. Vous allez mourir
; Levez-vous ! Levez-vous ! Où est Guillaume ? Pourquoi dort-il
? S’il est atteint, c’en est fait de lui. Tes ennemis, Guillaume,
vont s’armer. S’ils peuvent te trouver ici, tu ne sortiras
pas du Cotentin, et tu ne verras pas lever le jour ». |
Guillaume
fut fort effrayé, comme un homme frappé d’épouvante
; il n’alla pas chercher des nouvelles, qui ne semblaient rien
lui promettre de bon. Il n’avait que ses braies et sa chemise
; il jette une chappe sur ses épaules, s’élance
sur son cheval et met en route. Je ne saurais dire s’il eut des
éperons, et s’il se fit accompagner. Il fit tant de hâte
qu’il arriva aux Vés ; il les trouva praticables ; il les
a passés. De nuit, il passa les gués de Vire, partagé
entre la peur et la colère. Il s’arrêta dans le moutier
de Saint-Clément, pour prier Dieu du fond du cœur ; il lui
demanda de le guider et de le faire échapper. Il n’osa
se diriger vers Bayeux, car il ne savait à qui se fier ; il préféra
prendre sa route entre Bayeux et la mer. Il passait par le village de
Rye avant le lever du soleil. Hubert de Rye était à sa
porte, entre le moutier et la motte de son château : il vit Guillaume
à peine vêtu, sur un cheval baigné de sueur. |
«
[...] beau sire, lui dit-il, comment voyagez-vous ! Hubert,
reprit le duc, oserai-je vous dire ? Oui, vraiment, répondit
Hubert, avancez sans crainte. Mes ennemis, reprend le duc, me cherchent
; ils menacent de m’occire ; avec vous je n’ai rien de caché
; je sais bien qu’ils ont juré ma mort ». |
Hubert
a mené le duc en son hôtel, il lui a livré son meilleur
cheval, il a appelé ses trois fils. « [...]
beaux fils, leur dit-il, à cheval, à cheval. Voici notre
seigneur : conduisez-le jusqu’à Falaise ; vous passerez
par ci et par là, et vous éviterez les villes
». |
Hubert
leur a bien indiqué les voies et les détours. Les jeunes
gens ont tout bien entendu ; ils ont suivi les instructions de leur
père. Ils ont traversé tout le pays, et passé à
gué l’eau de Foupendant. Ils mirent Guillaume à
Falaise : s’il fut mal équipé, qu’importe
? |
![Le château de Falaise (XIIème siècle) [Photo prise en août 2007 par C. Deméautis] Le château de Falaise (XIIème siècle) [Photo prise en août 2007 par C. Deméautis]](../ressources_images/ressource_216/chateau_falaise.gif)
Le
château de Falaise (XIIème siècle) [Photo prise
en août 2007 par C. Deméautis] |
Hubert
était encore sur son pont, il regardait à droite, regardait
à gauche, et attendait des nouvelles, pensant bien qu’il
allait en apprendre d’extraordinaires. Il voit accourir, ventre
à terre, ceux qui poursuivaient Guillaume. Ils l’appellent
et le conjure de dire s’il a vu le bâtard : par où
va-t-il et de quel côté ? |
Hubert
leur dit : « [...] il est passé par ici, il
n’est pas loin, vous l’atteindrez bientôt. Mais attendez,
je vous mènerai, car je veux frapper le premier coup. Je vous
le garantis par ma foi, si je le trouve, je le frapperai le premier
». |
Hubert
les a tant égarés et les a envoyés si loin qu’il
n’a plus aucune inquiétude sur Guillaume, qui suivait une
autre route. « [...] c’est assez leur dit-il,
puis il revient à son hôtel ». |
Ce
jour là, le Cotentin et le Bessin furent en grand émoi.
Par le pays se répandit vite la triste nouvelle de la trahison
de Guillaume qu’on devait assassiner dans la nuit. Les uns disent
qu’il est tué, les autres qu’il est pris, plusieurs
qu’ils est en fuite. Tous répètent : « [...]
Dieu le protège ! ». |
De
Bayeux jusqu’aux Vés les chemins sont couverts de ceux
qui viennent de Valognes. Ils se tiennent pour morts et déshonorés
d’avoir perdu leur seigneur, qu’ils avaient encore la veille
au soir. Ils ne savent où le chercher. Ils marchent en demandant
des nouvelles, mais ils ne savent où diriger leurs recherches.
Ils maudissent Grimoud du Plessis, et ceux qui se confient à
Grimoud ; ils le soupçonnent d’être l’auteur
de la trahison. Cet événement frappa toute le Normandie
de stupeur et d’effroi. |
Les
vicomtes, par haine du duc, saisirent ses terres et s’emparèrent
de tout ce qui fut à leur portée. Ils ont si bien dépouillé
Guillaume, qu’il ne lui resta plus aucun pouvoir, et qu’il
ne pouvait mettre le pied sur le Bessin pour exercer ses droits et demander
ses rentes. Il alla en France trouver le roi Henri, à qui son
père Robert avait rendu des services. Il s’est plaint de
Néel, qui l’abandonne et le prive de ses revenus. Il s’est
plaint de Hamon aux Dents, et de Gui le Bourguignon, et de Grimoud le
traître, qui plus que tous a encouru son indignation, et de Renouf
de Briquesart, qui dispose de ses biens, et des autres barons du pays,
qui se sont ligués contre lui. |
Après
avoir entendu les paroles et les plaintes de Guillaume, le roi fit assembler
son armée et vint aussitôt en Normandie. De son côté,
Guillaume semonce les Cauchois, les habitants de Rouen et du Roumois,
ceux du pays d’Auge et du Lieuvin, et ceux d’Évreux
et l’Evrecin. Tous les combattants qu’on avait pu réunir
s’assemblèrent dans l’Hiémois. Les Français
s’hébergèrent entre Argences et Mézidon,
sur la rivière de Laison. Les Normands qui soutenaient Guillaume
et venaient le défendre s’hébergèrent près
de l’eau de Muancé, qui traverse le territoire d’Argences. |
Quand
le vicomte du Cotentin et du Bessin apprirent que Guillaume s’avançait
et voulait combattre, qu’il amenait le roi de France et qu’il
comptait sur cet allié pour les vaincre, n’écoutant
que les mauvais conseils et les inspirations de l’orgueil, ils
dédaignèrent de lui rendre son bien, de demander la paix
ou de l’accepter. De toutes parts ils appelèrent leurs
gens, leurs parents et leurs amis ; ils ont mandé et semoncé
tous les vavasseurs et tous les barons qui avaient juré d’obéir
à leurs ordres. Ils passèrent par plusieurs gués,
par plusieurs chaussées et s’assemblèrent au Val
des Dunes. Le Val des Dunes est en Hiémois, entre Argences et
Cinglais. De Caen j’estime qu’on peut y compter trois lieues.
Ce sont des plaines longues et larges, sans grands monts ni grandes
vallées, assez près du Gué-Bérenger ; il
n’y a ni bocages ni rochers ; la terre s’incline vers le
soleil levant. Une rivière coule au midi et au couchant. |
A
Saint-Brice de Valmeray la messe fut chantée pour le roi le jour
de la bataille ; les clercs y ont reçu de riches offrandes. A
Valmeray les Français s’armèrent et se rengèrent
en bataille ; puis ils marchèrent sur le Val des Dunes. Là
s’assemblèrent les communes ; elles bordèrent la
rivière, bien équipées comme de fiers combattants.
Guillaume sortit d’Argences, passa par le Gué-Bérenger
et suivit la rivière pour venir se placer contre les Français.
La troupe de Guillaume fut à droite, et les Français furent
à gauche ; les uns et les autres regardent l’occident.
C’était là que se tenaient les ennemis. |
Raoul
Taisson, de Cinglais, vit les Normands et les Français ; il vit
la troupe de Guillaume qui s’accroissait ; il resta assez loin
à l’écart. Il avait avec lui cent quarante chevaliers
: c’était ce qu’il devait avoir à sa suite.
Tous marchaient les lances en l’air, les flammes au vent. Le roi
parlait au duc Guillaume ; tous deux armés, le heaume lacé,
un bâton à la main, rangeaient leurs troupes et les préparaient
à la bataille. Quand le roi vit Raoul Taisson se tenir à
l’écart, il ne sut ni de quel côté il se tournerait,
ni quels étaient ses desseins. « [...] Guillaume,
s’écria le roi, quels sont ces chevaliers aux flammes déployées
? Ils sont tous richement équipés. Savez-vous leurs projets
? M’est avis qu’ils décideront de la victoire
». « [...] sire, dit Guillaume, je crois qu’ils
seront tous pour moi. Leur seigneur s’appelle Raoul Taisson ;
il n’a rien contre moi aucun sujet de mécontentement
». |
Raoul
Taisson hésitait à se déclarer pour Guillaume.
Les vicomtes le pressaient et lui faisaient de grandes promesses. Il
leur avait donné des assurances, et juré à Bayeux
sur les saints qu’il frapperait Guillaume partout où il
le trouverait. Mais ses hommes l’ont conjuré, ils lui ont
donné le bon conseil de ne pas combattre son droit seigneur.
Guillaume est son seigneur naturel ; lui son homme ne peut le renier.
Il se rappelle l’hommage qu’il lui prêta sous les
yeux de son père et de son baronnage. Qui s’attaque à
son seigneur, n’a droit de tenir fief ni baronnie. |
«
[...] attachons-nous à lui, dit Raoul ; vous parlez
bien, agissons de même ». Du milieu de sa
troupe il éperonne son cheval, en criant Thury ! Il fait arrêter
tous ses hommes pour aller parler au duc Guillaume ; il traverse la
plaine au galop, frappe son seigneur de son gant, puis lui dit aussitôt
en riant : « [...] je m’acquitte de mon serment
: je jurai de vous frapper dès que je vous rencontrerais. Pour
tenir mon serment car je ne veux pas me parjurer, je vous ai frappé
; ne vous inquiétez pas ; il n’y a point d’autre
félonnie ». Et le duc lui dit : « [...]
grand merci ». Et sur ce, Raoul s’est retiré. |
Guillaume
parcourt la plaine, suivi d’une nombreuse compagnie de Normands
; il cherche les deux vicomtes et demande les parjures. Ceux qui les
connaissent les lui montrent en face. Là où se tiennent
leurs gens. Vous eussiez vu s’ébranler dans la campagne
beaucoup de troupes et de capitaines. Chaque homme puissant, chaque
baron avait près de lui son gonfanon, ou gonfanon ou autre drapeau
pour rallier ses gens, marques ou insignes, écus peints de diverses
façons. Vous eussiez vu la terre trembler, les chevaux se cabrer
sous l’aiguillon, les lances se brandir, les écus et les
heaumes reluire au soleil. Les cavaliers, en s’élançant,
poussent leurs cris de guerre. Ceux de France crient Montjoie ; ils
tiennent à se bien faire entendre. Guillaume crie Dex aïe
: telle est la devise de la Normandie. Néel crie : Saint-Sauveur
; c’est la devise de sa baronnie. Et Renouf crie de toutes ses
forces : Saint-Sever, sire Saint-Sever, et Hamon aux Dents : Saint-Amand,
sire Saint-Amand. Il y eut un grand tumulte à la rencontre ;
la terre s’en ébranla. Vous eussiez vu les chevaliers presser
leurs montures ; les uns se retourner, les autres se mêler aux
ennemis, les braves poussent en avant, les poltrons se retirent en tremblant. |
Les
Cotentinais marchèrent sur le roi de France et les Français
; ils se joignent et s’entre-frappent, les lances baissées.
Des deux côtés, il y eut bien des coups reçus
sur les écus. Quand les combattants ont rompu leurs lances,
ils prennent leurs épées pour s’entre-assaillir.
Ce ne sont pas des joutes, on se bat à fer émoulu, comme
des champions en champ clos.
|
Si
deux compagnons d’égale force en viennent aux mains, ils
se frappent et se renversent, se heurtent et se poussent, ils s’évitent
quand ils se redoutent. Chacun a honte de fuir et chacun veut rester
maître du terrain. Chacun cherche à avancer le plus possible. |
Les
Cotentinais tiennent tête aux Français. Affreux est le
tumulte, et grandement se tourmentent les combattants : ils se servent
de la lance et de l’épée. « [...]
vous eussiez vu les vassaux se battre, les chevaux et les chevaliers
tomber pour ne plus se relever ». |
Le
roi lui-même fut frappé et renversé de son cheval.
Un normand, qu’on ne put point connaître, s’était
imaginé que si le roi tombait, l’armée serait aussitôt
en déroute. Il atteignit le roi de côté, et le fit
tomber à terre. Si le haubert eût été moins
bon, je suis certain que le choc eût été mortel.
C’est à cette occasion que les paysans dirent encore en
plaisantant : « [...] de Cotentin sortit la lance,
qui renversa le roi de France ». |
L’auteur
de ce coup de main aurait pu échapper ; mais quand il veut faire
volte face pour se retirer, un chevalier fond sur lui, l’atteint
et le heurte avec une telle impétuosité qu’il le
renverse à terre. Cependant, profitant de l’empressement
qu’on met à relever le roi, le Cotentinais se redresse
et se cramponne à son destrier ; il avait déjà
la main à l’arçon, quand il est entouré par
une foule menaçante : on l’arrache de la selle, on le fait
tomber à la renverse ; il est foulé sous les pieds des
chevaux et laissé pour mort sur la place. |
Il y
eut grand presse à relever le roi et à le remettre au
plus vite en selle. Il était tombé au milieu de ses hommes
; il n’eut ni contusion ni blessures ; il se releva avec agilité
; jamais il ne fut plus hardi. Dès que le roi fut à cheval,
vous eussiez vu les vassaux frapper avec les lances et les épées.
Les Français enfoncent les Normands ; les Normands plient, tournent
et rompant leurs rangs ; le roi aime d’autant plus à se
montrer que l’ennemi l’avait vu renversé. |
Dans
la mêlée tomba Hamon aux Dents, et plusieurs des siens,
qui ne quittèrent le champ de bataille que pour être portés
en bière. Hamon aux Dents était un normand puissant par
ses fiefs et par ses vassaux : il était seigneur de Torigny et
d’Evrecy et de Creully. Souvent il se jeta sur les Français
en frappant et en répétant son cri : Saint-Amand. Un français
a remarqué son orgueilleuse allure ; il s’arrête,
l’épie et attend qu’il s’approche. A un détour,
voyant Hamon frapper le roi, il le charge avec vigueur et l’atteint
par-dessus l’arçon, en pleine poitrine. Hamon tomba sur
son écu ; je ne puis dire quelle fut sa blessure, mais je sais
qu’il fut relevé mort sur son écu. De là
il fut porté à Esquai et enterré devant l’église.
Bien des gens témoins de ses prouesses crurent que Hamon avait
frappé et renversé le roi et que les Français l’occirent
pour venger leur prince. |
Raoul
Taisson attendit que les deux armées fussent aux prises et que
les chevaliers commençassent à jouter. Alors il se mit
en mouvement et chevaucha. On vit bien où il passa. Je ne saurais
raconter ses exploits, ni nommer les victimes qui tombèrent sous
ses coups. |
Pour
ne pas trop allonger mon récit. Renouf le vicomte avait avec
lui un vassal nommé Hardré, il était né
à Bayeux ; il chevauchait en avant, plein de confiance en sa
valeur. Guillaume court à lui, le vise avec sa lance, et lui
fait passer le fer au travers de la gorge. Hardré tombe à
la renverse et rend l’âme. Le duc a laissé son fer
dans la blessure, il n’a pu retirer que le bois de sa lance. Guillaume
se bat noblement ; il atteint et renverse maint ennemi. |
Renouf
vit la grande bataille et le grand carnage. Il entendit le tumulte,
les cris et le choc des lances. Il q’arrête éperdu,
comme un homme peu brave. Il a peur d’être trahi ; il a
peur que Néel ne prenne la fuite. Il redoute Guillaume et ses
compagnons. C’est un mal s’il est fait prisonnier ; ce sera
pis s’il est tué. Quand l’ennemi charge, il se retire
; la bataille lui déplaît fort. Il avance, il recule ;
il craint d’être frappé ; il quitte ses compagnons,
il veut fuir, il s’enfuit. Il abandonne sa lance, puis son écu.
Il fuit toujours, le cou allongé sur son cheval. Les lâches
le suivent. Ce ne sont pas les plus malheureux qui se plaignent davantage. |
Néel se
battit en preux ; si tous ses compagnons eussent montré autant
de bravoure, les Français auraient eu du mal, ils eussent été
déconfits et vaincus. Néel donna et reçu maint
bon coup ; il résista aussi long temps qu’il le put ; mais
il vit sa troupe faiblir ; il vit plusieurs des siens tomber morts.
De toutes part les Français arrivent en rangs épais ;
les Normands cèdent et diminuent en nombre. Les uns tombent blessés,
les autres fuient aveuglés par la peur. Néel, pour sa
vaillance et son habileté, pour son audace et sa noblesse, fut
appelé Chef de faucon. Noble chef de faucon, tel fut le surnom
qui lui fut donné. Dans l’armée normande, les uns
tombent, les autres sont blessés ; ceux qui ont peur prennent
la fuite. Quand Néel dut quitter le champ de bataille, jamais
il n’y eut plus triste deuil. |
Grande
fut la foule des fuyards ; grande aussi la foule de ceux qui les poursuivaient.
Vous eussiez vu des chevaux errer sans maître, des chevaliers
traverser les champs au galop. Les malheureux veulent gagner le Bessin
; mais ils craignent le passage de l’Orne, entre Allemagne et
Fontenay. Tous s’enfuient en grand désordre, par petits
groupes de trois, de cinq ou de six. Les vainqueurs qui se précipitent
sur leurs traces les harcèlent et les massacrent. Il y eut un
tel carnage au passage de l’Orne que les moulins de Borbillon
en furent, dut-on, arrêtés. |
Le roi
rassemble ses gens pour retourner en France ; il a fait emmener avec
lui les malades et les blessés. Les morts sont enterrés
dans les cimetières du pays. Guillaume reste en Normandie, et
de long temps il n’y eut point de guerres au pays. Les barons
se reconcilièrent avec le duc ; ils achetèrent leur grâce,
par des promesses et des dons. Mais Néel ne put faire sa paix
et n’osa demeurer au pays. Il fut long temps en Bretagne avant
d’obtenir pardon. |
Fin
du texte extrait du Roman de Rou par le célèbre chroniqueur
Wace. Le Roman de Rou est une chronique versifiée rédigée
entre 1160 et 1170 racontant l’histoire du duché de Normandie
de l’époque de Rollon jusqu’à la bataille
de Tinchebray en 1106. Pour approfondir le sujet : Le Roman
de Rou de Wace, Éd. A. J. Holden, Paris, A. &
J. Picard, 1970 et Guillaume le Duc, Guillaume
le roi, extraits du Roman de Rou de Wace,
Éd. René Lepelley, Presses universitaires de Caen, 1995 |
Après
la bataille du Val-ès-Dunes, Guillaume reprit en main le duché
mais dut compter sur l’hostilité d’une partie de
sa parentèle. Vers 1050, il parvint à en éliminer
plusieurs, Guillaume Werlenc, comte
de Mortain fut banni, Mauger,
archevêque de Rouen dut quitter son
siège et Guillaume d'Arques s’exila
après l’échec de sa révolte contre le duc
en 1054. Guillaume rétablit l’ordre par une habile politique
de redistribution des terres et contrôla plus fermement les vicomtes. |
Le
pouvoir du jeune duc s’appuya sur un groupe de fidèles
parmi lesquels figuraient ses deux demi-frères, Odon
de Conteville, évêque de Bayeux,
Robert, comte de Mortain
et un groupe de barons dont Guillaume Fitz Osbern,
Roger de Montgommery, Guillaume
de Warenne, Roger de Beaumont
et d’autres seigneurs plus modestes, mais très proche du
pouvoir ducal comme Onfroi de Bohon. |
La
montée en puissance du duc Guillaume inquiéta le roi de
France. Après lui avoir donné son aide lors de la bataille
du Val-ès-Dunes, celui-ci décida de limiter l’expansion
de son vassal. En 1053, il envoya une armée pour venir en aide
à Guillaume d’Arques révolté contre le duc.
En 1054 et 1057, il envahit la Normandie conjointement avec les troupes
du comte d'Anjou mais ces expéditions furent des échecs. |
Entre
1050 et 1056, il épousa Mathilde de Flandre,
fille de Baudouin V, comte de
Flandre, et ce, malgré l’interdiction du
pape. Il fallut attendre le pontificat du pape Nicolas II pour que le
couple soit absous. En échange, ils fondèrent deux abbayes
: l’abbaye aux Hommes, dédiée
à Saint-Étienne et l’abbaye aux Dames,
dédiée à la Sainte Trinité. |
A
cette époque, l’Angleterre était dirigée
par le roi Édouard le Confesseur. Celui-ci
avait trouvé refuge à la cour normande lorsqu’en
1013 son père Ethelred le Malavisé
et sa mère Emma de Normandie avaient
été chassés du trône d’Angleterre par
Sven I de Danemark. Après presque trente ans d’exil, Ethelred
rentra en Angleterre pour y être couronné roi en 1042.
Édouard le Confesseur s’entoura de Normands. N’ayant
point de descendance, Édouard sembla encourager les vues de Guillaume
sur sa succession mais Guillaume avait d’autres préoccupations. |
Harold
Godwinson, aristocrate anglo-saxon et candidat possible
à la succession d'Édouard, se rendit en Normandie à
la cour de Guillaume. D’après la Tapisserie de Bayeux,
Harold prêta serment de fidélité à Guillaume
et renonça à la succession au trône anglais à
son profit. Mais quand Édouard le Confesseur mourut le 5 janvier
1066, Harold Godwinson, lui succéda. Son couronnement se fit
le 6 janvier 1066. Guillaume protesta et prépara l’invasion
du royaume anglo-saxon. Guillaume promit de donner, titres, terres et
richesse aux chevaliers et barons qui acceptèrent de l’accompagner
dans sa quête. L’armée normande embarqua à
Dives-sur-mer, après une halte à Saint-Valéry-en-Caux,
elle débarqua enfin à Pevensey, le 28 septembre 1066.
Le 14 octobre 1066, à la bataille d'Hastings, Guillaume battit
Harold qui fut tué au combat et reçu la couronne anglo-saxonne
le 25 décembre 1066 dans l'abbaye de Westminster. Suite à
la bataille d’Hastings, la distribution de titres et de terres
aux chevaliers et barons accrût fortement la puissance de la noblesse
normande. |
Ce
fut
l’époque des grandes expéditions lointaines où
les fils de Tancrède de Hauteville
s’installèrent dans le sud de l’Italie.
Geoffroy
de Montbray, évêque de Coutances
de 1048 à 1093 fit élever la cathédrale romane
de Coutances et favorisa la création des abbayes bénédictines
richement dotées comme Saint-Sauveur (1056) et Lessay
(1064).
La
qualité des édifices romans de cette époque constitue
l’un des attraits majeurs du patrimoine. La première
moitié du XIIème siècle apparaît comme
la grande époque de l’art roman du Cotentin.
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Abbatiale
de Cerisy-la-Forêt (XIème siècle) |
L’influence
de la magnifique abbatiale de Cerisy-la-Forêt se ressentit à
Chef-du-Pont, Saint-Côme-du-Mont, et Saint-Germain-sur-Ay. |
En 1087, en réponse
aux agissements du roi de France, Guillaume conduisit son armée
jusqu'à Mantes, qu'il brûla. Une blessure ou une maladie
le contraint de retourner à Rouen. Il agonisa quelques jours,
mais avant de mourir le 9 septembre 1087, il régla sa succession.
Robert
Courteheuse fut duc de Normandie tandis que son deuxième fils,
Guillaume le Roux fut roi d'Angleterre. Son corps fut ensuite transporté
jusqu'à Caen, pour y être inhumé à Saint-Étienne.
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Tombe
de Guillaume le conquérant |
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